Réédition de pamphlets de 1925 de George Grosz contre les avant-gardes


Voici quelques mois sortait un excellent recueil d’essais sur l’art parus initialement en 1925. Les auteurs ? Des dadaïstes berlinois – c’est-à-dire le groupe le plus politisé du mouvement Dada – de la première heure : le grand peintre George Grosz, l’éminent collagiste John Heartfield, ainsi que le frère de ce dernier Wieland Herzfelde, puis Günther Anders (un essai sur l’art du photomontage). Pamphlets féroces et percutants, ils justifient tout à fait la couverture montrant les auteurs en pugilistes, à la fois souriants et portant des gants de boxe. Plus de 80 ans plus tard, on y trouve une source vive où boire une saine colère. Attention à la dérouillée !

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Refus de faire œuvre : l’art contemporain est un jeu de bourgeois


Je n’en finis pas de relever combien est répandu, dans ce qui est labellisé « art contemporain » (et qui n’est pas l’art produit aujourd’hui dans son entier), ce refus de faire oeuvre, de manipuler des matières, c’est-à-dire de s’inscrire dans la prolongation d’une tradition du faire où l’art comportait une dimension artisanale. Ce refus de mettre la main à la pâte, cette répugnance au travail manuel, me font penser au rapport bourgeois au travail ; cela me rappelle aussi la conception des aristocrates athéniens pour lesquels l’art, en tant qu’il était alors indistinct de l’artisanat, était une chose vile comme toutes les tâches manuelles.

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Paradoxe du non-art : égalitarisme et aristocratisme


Malgré des discours parfois égalitaires, l’art contemporain promeut une hiérarchie dans la société. Cela peut prétendre que « tout le monde est un artiste » et a, à ce titre, voix au chapitre ; cela peut inviter les individus à intervenir et participer à la soi-disant œuvre dans une logique ludique qui prétend faire du « lien social » : cela est principalement l’invitation à venir dans la tête et le petit monde de l’artiste, dans sa « mythologie personnelle ». L’enjeu n’est pas l’égalité humaine, mais bien la soumission à la loi de l’artiste et du « monde de l’art ».

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Hannah Arendt : extraits de « La Crise de la culture »


« La question de la culture de masse surgit d’abord d’un problème tout autre et plus fondamental, à savoir : le rapport hautement problématique de la société et de la culture. Il n’est besoin que de rappeler dans quelle mesure tout le mouvement de l’art moderne commença par une rébellion véhémente de l’artiste contre la société en tant que telle (et non contre une société de masse encore inconnue) pour comprendre à quel point ce rapport antérieur a dû laisser à désirer, et devenir méfiants à l’égard de la facile nostalgie qu’ont tant de critiques de la culture de masse pour un Age d’or de la bonne société policée. Cette aspiration est beaucoup plus répandue aujourd’hui en Amérique qu’en Europe, pour la simple raison que l’Amérique, quoiqu’elle ne connaisse que trop bien le philistinisme barbare des nouveaux riches, n’a qu’une connaissance incertaine du philistinisme culturel et cultivé, non moins ennuyeux, de la société européenne, où la culture a acquis une valeur de snobisme et où c’est devenu une affaire de position sociale que d’être assez éduqué pour apprécier la culture (…) ».

« La culture concerne les objets et est un phénomène du monde ; le loisir concerne les gens et est un phénomène de la vie. Un objet est culturel selon la durée de sa permanence ; son caractère durable est l’exact opposé du caractère fonctionnel, qualité qui le fait disparaître à nouveau du monde phénoménal par utilisation et par usure (…). La culture se trouve menacée quand tous les objets et choses du monde, produits par le présent ou par le passé, sont traités comme de pures fonctions du processus vital de la société, comme s’ils n’étaient là que pour satisfaire quelque besoin ».

« Seul ce qui dure à travers les siècles peut finalement revendiquer d’être un objet culturel. Sitôt que les ouvrages immortels du passé devinrent objet du raffinement social et individuel, avec position sociale correspondante, ils perdirent leur plus importante et leur plus fondamentale qualité : ravir et émouvoir le lecteur ou le spectateur par-delà les siècles », La Crise de la culture, 1968, trad. fr. 1971.