Voilà quelques mois, à la fin du printemps 2010, je me rendis à la médiathèque de Ploufragan, petite ville bretonne d’une dizaine de milliers d’habitants, située près de Saint-Brieuc. Sur place, dans le hall, j’assiste à la mise en place d’une « installation » par une « plasticienne ». Ayant invité les filles et femmes de tous âges à lui remettre des chaussures, elle a devant elle une pile de godasses, qu’elle invite à peindre en rouge (si mes souvenirs sont bons ; en tout cas, qu’elle y invitât ou le fît elle-même, le résultat était que toutes étaient peintes en rouge).
L’« œuvre » se voulait féministe. J’ai donc supposé qu’elle voulait dénoncer, par exemple, un conditionnement de genre conduisant à l’impératif social de coquetterie, mésinterprétant probablement l’objectif (en même temps, sans recourir à des symboles communs, clairs, que faire d’autre qu’ergoter ?) et supposant que le rouge pouvait renvoyer au sang, à la souffrance. (Au fond, la licence d’usage des symboles dans l’« art » contempourien est telle que n’importe quoi peut avoir n’importe quel sens, selon le bon gré de l’« artiste »-autiste : cf. sainte Louise Bourgeois pour qui l’araignée représente la douce figure maternelle…) Je m’étonne donc qu’elle n’ait pas utilisé exclusivement d’escarpins, a fortiori les stilettos (talons-aiguilles). Entendant la remarque, sur un possible malentendu d’ailleurs, elle s’agace, ne me laissant pas expliciter mon propos, s’effarant – je suppose – d’un propos de bon machiste favorable à une assignation au genre. (Il s’avère que la structure n’est pas une dénonciation, mais plutôt une revendication positive : voir le lien à la fin de l’article).
De la « plasticienne », je ne garde donc pas un souvenir très positif, me souvenant d’une féministe qui, forte d’un savoir sur les structures de la domination (on peut deviner qu’elle connaît les écrits sur la question des Pierre Bourdieu, Christine Delphy et autres Judith Butler), suppose par habitude peut-être, que l’interlocuteur en sait moins qu’elle. Le snobisme des détenteurs d’un savoir induit souvent un comportement un peu hautain et idiot ; ce n’est pas la première fois que je l’observe, j’aurais plutôt tendance à en sourire, donc…
Quelques mois plus tard, causant avec mon amigo et camarade d’explorations du monde du non-art, je repense à celle-ci. Je cherche donc son site sur Google et je la retrouve : Dominique Potard, s’appelle-t-elle (voici son site Internet). Je ne m’attarderai pas sur son « œuvre » : elle est anecdotique, seulement symptomatique d’un climat idéologique permettant d’exposer n’importe quoi n’importe où. Qu’il y ait ici dans la justification un propos plus militant n’enlève rien au fond de l’affaire : sans le texte, l’installation exposée n’est rien.
J’ai surtout aimé lire un article publié dans le magazine Clara, signé d’une certaine Judith André Valentin, que la « plasticienne » a scanné et reproduit sur sa page. On y trouve notamment cette phrase dont la saveur est caractéristique de la glose du non-art : « L’artiste plasticienne revient sur le passé, questionne le présent, observe les corps et les reconstruit, les charge de symbolisme afin de mettre à jour leur lisibilité, en établir une cartographie ». Ma réaction : et en français, ça veut dire quoi, clairement ? Ou comment combler le vide d’intérêt profond et d’esthétique d’une « œuvre » par un amphigouris fait pour impressionner. Que le lecteur ne s’inquiète pas : la journaliste elle-même ne comprend sans doute pas elle-même ce que sa phrase peut bien vouloir dire. Dommage ! J’aurais aimé comprendre ce que c’est que « mettre à jour » la « lisibilité » des corps et « en établir une cartographie ».
Voir sur le site de Dominique Potard la fiche consacrée à « Jouis, regarde, embrasse le monde », l’installation susmentionnée.
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